- Google vient de déployer deux fonctionnalités, l’une activée par défaut, l’autre encore en beta, lui permettant d’optimiser les prix plancher définis par les éditeurs clients de Google Ad Manager en programmatique.
- En apparence, plutôt vertueux puisque cela devrait leur permettre de maximiser la valeur de leur inventaire. Sauf que ces derniers n’en veulent pas. On vous explique pourquoi.
Google veut aider les éditeurs à mieux valoriser leur inventaire en programmatique. C’est du moins la promesse d’une nouvelle fonctionnalité que le géant de la publicité a activée, par défaut, le 5 juin dernier au sein de sa plateforme Google Ad Manager. Baptisée “Optimized Pricing”, elle doit permettre à l’outil de remonter automatiquement les prix planchers définis par un éditeur (prix en dessous desquels il refuse de vendre une impression) lorsqu’il détecte que ces derniers sont trop bas.
Optimized Pricing est un outil conçu par Google Ad Manager pour combattre le bid shading, cette pratique qui voit les acheteurs (SSP, DSP et autres) paramétrer leurs enchères de façon à trouver le prix le plus bas à payer, sans altérer leur win rate (taux de gain par enchère). Un moyen pour ces acheteurs d’éviter de “sur-payer” leurs impressions et une pratique qui s’est popularisée en même temps que le marché du programmatique a transitionné d’une logique de second price auction (le gagnant débourse plus ou moins le montant donné par le second plus gros enchérisseur) à une logique de 1st price auction (le gagnant paie le montant qu’il a proposé). Le bid shading est aujourd’hui une arme utilisée par la majorité des acheteurs et un gros SSP peut dépenser jusqu'à 25% de son budget média pour identifier ce prix plancher en dessous duquel il n’a aucune chance de remporter l’enchère.
20 Minutes, Le Figaro, Le Monde et Prisma Media ont désactivé d'emblée Optimized Pricing
Il n’est pas étonnant que Google Ad Manager, outil conçu pour optimiser les revenus des éditeurs, propose un contre-pied au bid shading. “Google s’appuie sur ses capacités de machine learning pour maximiser la valeur de l’inventaire de l’éditeur”, résume Sébastien Moutte, cofondateur d’Opti Digital, société spécialisée dans le développement de solutions de monétisation des inventaires, qui planche elle aussi sur un outil du même genre. En d’autres termes, c’est l’algorithme de Google contre celui des enchérisseurs. Et c’est en apparence plutôt vertueux… Sauf que ce ne semble pas être l’avis de certains éditeurs français puisque quatre d’entre eux, et pas des moindres, ont décidé de désactiver immédiatement cette fonctionnalité. Il s’agit de 20 Minutes, du Figaro, du Monde et de Prisma Media.
Comme souvent avec Google, c’est d’abord l’opacité de la solution qui est pointée du doigt. “Nous avions peu de visibilité sur ce qui se passait, du fait, notamment, d’un manque de transparence sur la compréhension de l’algorithme”, justifie Karine Rielland-Mardirossian, directrice générale déléguée digital chez Media.figaro. “Dans l'idée, ce que propose Google est intéressant mais c'est souvent difficile d'avoir une lecture claire des statistiques derrières ce type de fonctionnalité. Donc de savoir si c'est réellement bénéfique ou non”, abonde Maxime Mesmi, responsable partenaires chez Prisma Media Solution. Car le déploiement d’Optimized Pricing peut en réalité porter préjudice aux revenus des éditeurs. “Tout simplement parce qu’augmenter les floors, c’est prendre le risque de générer de l’invendu”, rappelle Sébastien Moutte. Vous vendez certes plus cher à l’unité mais vous risquez aussi de vendre moins au global, puisque certaines enchères peuvent ne pas aboutir, faute d’offre suffisante. Ce qui affecte bien évidemment votre RPM (revenu pour mille opportunités d’impressions).
“Augmenter les floors, c’est prendre le risque de générer de l’invendu”
C’est d’ailleurs ce qui semble se passer pour une autre fonctionnalité, déployée en beta cette fois-ci, qui a le même objectif, mais avec un niveau de granularité plus fin. Baptisée “Optimized floor prices”, elle permet à la plateforme publicitaire d’optimiser les prix planchers au niveau des UPR, Unified Pricing Rule, sur des inventaires bien précis (là où Optimized Pricing le fait au global).
Opti Digital a mesuré l’impact du déploiement de l’outil pour quelques-uns de ses clients puisque Google permet de faire des AB Tests dessus. Les résultats sont plutôt mitigés. Entre -5 et +5% de revenus supplémentaires sur une semaine de test. “Des résultats à prendre avec des pincettes, précise Sébastien Moutte, au regard de la faiblesse de l’échantillon statistique et de sa courte durée.” Mais qui viennent rappeler que l’optimisation des prix planchers n’est pas une science exacte. Surtout quand, comme c’est le cas de Google, on ne contrôle pas les revenus programmatiques qui proviennent du header bidding. La plateforme n'a, en effet, la main "que" sur ceux qui transitent via Google Adex et son wrapper Open Bidding (qui est de moins en moins utilisé).
Il est, dans tous les cas, une chose acquise. C’est que, si le déploiement de la fonctionnalité a un impact mitigé sur les revenus de l’éditeur, on ne peut pas en dire autant pour ceux de Google. Selon les tests menés par Opti Digital, la part du business réalisée via Google Adex est en hausse de 7 à 16% sur une semaine chez les éditeurs qui ont activé “Optimizez floor prices”. “Sa part de marché passe de 51 à 57% chez l’un de nos clients sur la période”, chiffre Sébastien Moutte. Ici encore, des résultats à prendre avec des pincettes, au vu de la faiblesse de l’échantillon. Mais pas non plus une surprise. Google étant présent des deux côtés de la chaîne (vente et achat), il est forcément avantagé par rapport à ses concurrents SSP.
“Google utilise son monopole d’accès aux données de prix d'inventaires pour maintenir voire accroître son contrôle sur les inventaires des éditeurs”
Branché directement à Google Ad Manager, Google Adex est, tous comme les acheteurs qui passent directement par DV360, Open Bidding ou Authorized Buyers, informé du prix plancher associé à chaque impression sur laquelle il se positionne. Ce qui n’est pas le cas de ses concurrents qui passent, eux, le plus souvent par le wrapper client-side, prebid et qui restent, eux, complètement aveugles face à ces prix planchers désormais beaucoup plus volatiles. "En raison du fonctionnement du header bidding (les bid requests sont effectuées avant même qu'une ad request ne soit envoyée à Google Ad Manager), Ad Manager n'est pas en mesure de partager les prix planchers avec les enchérisseurs header bidding dans les bid requests, reconnait un porte-parole de Google. Ce n'est pas seulement vrai pour Optimized Pricing. C'est également vrai lorsqu'un éditeur fixe manuellement un prix plancher via les UPR ou règles de tarification unifiées."
Tous ceux qui connaissent le passif de Google en la matière vous diront que c’est forcément problématique. “Google utilise son monopole d’accès aux données de prix d'inventaires pour maintenir voire accroître son contrôle sur les inventaires des éditeurs”, déplore Romain Job, chief strategy officer d'Equativ (anciennement Smart). Et d’assurer, comme les premiers tests d’Opti Digital semblent le montrer qu’il ne fait “aucun doute qu'avec ce type de fonctionnalités la part de Google dans le revenu des éditeurs va augmenter.”
Laisser les rênes à Google, c’est donc prendre le risque de déséquilibrer un peu plus le marché qu’il ne l’est déjà, en donnant plus de poids à un acteur qui est déjà hégémonique. "L’impact de cette nouvelle fonctionnalité risque de s’accroître sur le long terme, notamment chez les éditeurs pour lesquels Google Adex pèse plus de 70% des revenus programmatiques, comme ça arrive souvent chez les petits et moyens éditeurs”, prévient Sébastien Moutte. Un état de fait qui pourrait évidemment se retourner contre les intérêts des éditeurs sur le long terme.
“Pourquoi le plus gros acheteur programmatique du monde permettrait-il à ses fournisseurs, les publishers, de vendre plus cher ?”
La décision prise par Google Ad Manager de ne plus monétiser les impressions pour lesquelles les éditeurs n’avaient pas obtenu de consentement de l’internaute au tracking (pas même via de la pub non ciblée) nous l’a rappelé en 2021. Google n’hésite pas, s’il le faut, à prendre des décisions contraires aux intérêts économiques de ses clients. C’est aussi le reproche adressé par l’Etat du Texas qui a accusé Google Ad Manager de truquer les enchères programmatiques qui transitent par son outil, en empochant la différence entre ce que les acheteurs proposent de payer et ce que Google paie réellement aux éditeurs (chose rendue possible par la présence de Google des deux côtés de la transaction). “Pourquoi le plus gros acheteur programmatique du monde permettrait-il à ses fournisseurs, les publishers, de vendre plus cher”, s’interroge Loïc Sfiligoi.
Comment y remédier ? En faisant en sorte que tous les partenaires aient connaissance, comme Google Adex, du prix minimum de vente. C’est ce que propose Opti Digital à travers son propre outil d’optimisation du yield des prix planchers. "Nous faisons en sorte que tous les partenaires sell-side, qu'ils soient connectés via prebid, Amazon ou Google Ad Manager, ont connaissance des prix minimum de vente avant d'enchérir”, précise Sébastien Moutte. Cela garantit une concurrence plus saine et cela éviterait aux enchérisseurs d’envoyer des bid responses qui n’ont aucune chance d’être retenues car en dessous du seuil fatidique. Pas un luxe à l’heure où l’adtech, dans une démarche RSE, essaie de limiter son empreinte carbone. Et c'est ce que les éditeurs français enjoignent Google à faire avec son outil d'optimisation des prix planchers...
[Mise à jour du 22 juillet 2022 à 19h25] La réponse de Google aux accusations de l'Etat du Texas : "La plainte utilise une rhétorique délibérément incendiaire pour nous accuser d'une litanie d'actes répréhensibles : éditeurs "trompeurs", enchères "truquées" grâce à un accès spécial aux données, organisation d'"enchères au troisième prix", " empocher la différence. Mais nous avons prouvé n'avoir fait aucune de ces choses. AG Paxton déforme diverses optimisations que nous avons créées pour améliorer les rendements des éditeurs et les retours pour les annonceurs. Pour être clair, contrairement à ses affirmations, ces optimisations n'ont pas pour conséquence que Google "empoche" une part de revenus supplémentaire, pas plus qu'elles ne rendent les enchères déloyales. Et notre enchère a toujours été une enchère au second prix (jusqu'en 2019, date à laquelle elle est devenue une enchère au premier prix)."