- Walmart a réalisé près de 2,1 milliards de dollars de revenus publicitaires en 2021, avec plus de deux fois plus d’annonceurs par rapport à 2020. Un succès dont les retailers français doivent s’inspirer.
Le retail media devient un canal de plus en plus lucratif pour les distributeurs. Preuve en est avec le numéro 1 mondial de la distribution, Walmart. L’Américain a réalisé près de 2,1 milliards de dollars de revenus publicitaires en 2021, avec plus de deux fois plus d’annonceurs par rapport à 2020. Un succès dont les retailers français doivent s’inspirer. Voici comment.
Ne pas faire du retail média une taxe subie par les fournisseurs
Ce n’est pas tant le ratio “revenus pubs / revenus global” qui étonne chez Walmart. Il est de 0,5% (2,1 milliards de dollars / 550 milliards de dollars), ce qui est sans doute plus faible que chez certains retailers français. Non, ce qui dénote vraiment, c’est que sur ces 2,1 milliards de dollars, à peine 500 millions proviennent de la digitalisation de budgets trade marketing. En d’autres termes, Walmart a réussi à générer 1,6 milliard de dollars de chiffre d’affaires incrémental grâce au retail média. Là est la prouesse du géant du retail américain, quand ses homologues français peinent, pour l’instant, à dépasser les 25% d’incrément.
“Ce n’est pas toujours évident de convaincre un client de dépenser des budgets ‘on-top’ quand celui-ci s’est fait massacré lors des négociations annuelles mais c’est le prix à payer”
“Transvaser des budgets coopérations - trade marketing vers le retail média, c’est facile avec la digitalisation du retail mais ça a ses limites, observe Lawrence Taylor, fondateur de Retail4Brands. Les fournisseurs subissent parfois cette bascule des budgets et peinent à voir la valeur qu’ils en retirent.” Il est, certes, important pour un retailer d’inviter sa régie aux négociations de début d’année entre acheteurs et fournisseurs, mais il faut aller au-delà. Et les retailers français passeront réellement un cap lorsqu’ils réussiront à convaincre leurs fournisseurs des bénéfices de leur offre. Pas évident bien sûr. “Ce n’est pas toujours évident de convaincre un client de dépenser des budgets ‘on-top’ quand celui-ci s’est fait massacré lors des négociations annuelles mais c’est le prix à payer”, prévient Lawrence Taylor.
Démontrer son ROAS on… et offline
Pour y arriver, un mot d’ordre : mesurer et démontrer son efficacité. Les retailers français ne peuvent plus se contenter de relever combien d’internautes ont acheté un produit de leur client après avoir vu sa publicité. Le nerf de la guerre, c’est de créer des ponts entre les campagnes en ligne et les ventes physiques. Et c’est ce que Walmart a très bien compris, en offrant ces insights aux annonceurs de manière automatisée, en faisant appel à la clean data room de Liveramp, Safe Haven.
Inutile néanmoins de s’équiper avec un moteur dernier cri si le fuel (la data encartée) vient vite à manquer. Les retailers français ont beau communiquer sur des millions d’encartés, ils peinent difficilement à en retrouver plus de 25% en ligne. Parce que les programmes de fidélité ne datent pas d’hier et que beaucoup de données ont été récoltées avant le RGPD bien sûr. Mais aussi parce que les difficultés de cookie matching rendent l’onboarding difficile. Des outils comme Liveramp peuvent aider à les améliorer mais le chemin le plus court, c’est de rebooster ses programmes de fidélité et les digitaliser.
Une fois ce point travaillé, ne reste “plus” qu’à travailler la sortie de caisse. “C’est extrêmement technique de relier un ticket de caisse à une navigation en ligne, confirme Erwan Lohezic, l'un des fondateurs de 3qtz. Il faut des hommes et de la tech.” Et il faut pouvoir se conformer au droit européen, plus restrictif qu’outre Atlantique. Un avantage pour Walmart versus le retail français.
Prendre le virage de l’extension d’audience
L’autre moyen de faire de l’incrémental, c’est d’aller chercher des annonceurs “non captifs”, comme l’a fait Walmart en s’associant à The Trade Desk. Les retailers français en ont pleinement conscience, qui veulent convaincre les marques d'activer leurs données transactionnelles au sein de sites médias classiques et sur pleins de nouveaux canaux en croissance : mobile, DOOH, Youtube, TV segmentée. Le sujet de l’extension d’audience est aujourd’hui prioritaire chez la plupart d’entre eux.
C’est évidemment un moyen de séduire les annonceurs issus de la banque, assurance ou de l'automobile, gros pourvoyeurs de budgets médias digitaux. C’est aussi un moyen d’augmenter son reach à l’instant T. Et permettre, par exemple, à un fournisseur de toucher un internaute que le retailer a identifié comme intentionniste (parce qu’il a consulté une page produit de la marque) mais qui ne semble pas décidé à aller sur le site de ce retailer le temps de la campagne. Pour y arriver, pas de secret. Dealer avec un DSP, comme l’a fait Walmart, mais aussi monter une équipe dédiée, ce genre de budgets étant géré par les agences médias.
“L’un des gros enjeux pour les régies retailers, c’est de convaincre les acheteurs que leur data a plus de sens que celle des autres"
Pas toujours une évidence pour des retailers qui ont l’habitude de parler à l’annonceur en direct… mais indispensable. “L’un des gros enjeux pour les régies retailers, c’est de convaincre les acheteurs que leur data a plus de sens que celle des autres, résume Erwan Lohezic. A chacun de segmenter ses audiences en moments de vie ou pools d’intentionnistes comme il l’entend, mais en se différenciant. Une fois ce travail fait, encore faut-il exécuter proprement les campagnes. Se transformer en véritable régie donc. “Ce n’est pas le plus aisé quand on a un ADN de retailers et en cela la mutation de Walmart est un véritable exemple”, pointe Erwan Lohezic.
Se plateformiser (vraiment)
L’offre de Walmart Connect, c’est d’abord une offre plateformisée où l’annonceur peut, comme sur Facebook Ads, cliquer sur un bouton s’il désire modifier les paramètres de sa campagne ou la prolonger. Les retailers français en prennent le chemin et ils sont nombreux à communiquer aujourd’hui sur le lancement d’offres en self-service comme c’est le cas de Carrefour Links, RelevanC ou Retailink. Sauf que la réalité est parfois plus nuancée.
“Chez les retailers français, la comptabilité et la facturation sont souvent gérées à l’ancienne, manuellement, ce qui est un enfer pour les acheteurs"
“La plupart des retailers français fonctionnent encore dans une logique d’ordre d’insertion (OI), avec un montant de dépenses et une durée définie dont il est difficile de s’extraire par la suite”, remarque Lawrence Taylor. Même problème en ce qui concerne la facturation. “Chez les retailers français, la comptabilité et la facturation sont souvent gérées à l’ancienne, manuellement, ce qui est l’enfer pour les acheteurs”, pointe Erwan Lohezic. Forcément hyper fastidieux alors que les annonceurs ne jurent que par la flexibilité pour itérer correctement sur leurs campagnes médias “always on”.
Rien de tel chez Amazon et Walmart, où “l’annonceur se contente d’accepter des CGU pour acheter de l’inventaire et reçoit ses factures de manière automatisée”, poursuit Lawrence Taylor.
Se plateformiser, c’est aussi enlever pas mal de barrières à l’entrée. “Si on met de côté les marques alimentaires, je pense qu'il y a une minorité de nos clients qui ont les moyens de mettre le ticket d’entrée nécessaire à la signature d’un OI chez les gros retailers français”, constate Lawrence Taylor. Le fait de faciliter le processus d’achat présente un autre avantage, cela permet aux retailers de s’ouvrir à la longue traîne de petits et moyens acheteurs qui ont fait le succès de Google et Facebook. C’est indispensable lorsque l’on se revendique comme un retail media network et c’est surtout le meilleur moyen de faire de l’incrémental.
Le plus important : accélérer sur l’e-commerce
C’est une évidence trop souvent oubliée des régies retail media qui, trop affairées à développer leur activité, en oublient de prendre de la hauteur. Le développement du retail media va de pair avec celui de l’e-commerce. Inutile de multiplier les formats et les innovations publicitaires si vous n’êtes pas au point sur les fondamentaux. “Que ce soit en media pur ou en développement de ventes, il faut un maximum d'utilisateurs pour que la régie ait du "bois" pour alimenter ses offres”, rappelle Erwan Lohezic. Sur ce point, Walmart est plutôt bien loti avec près de 75 milliards de revenus e-commerce (soit 13% de ses ventes) et 120 millions de visiteurs uniques par mois.
C’est évidemment impossible pour les acteurs français de faire aussi bien alors que le marché du e-commerce pèse 129 milliards d’euros en 2021 dans l’Hexagone selon les chiffres de la Fevad. Et qu’il est, en plus, hyper éclaté sur l’alimentaire avec cinq ou six groupes qui se partagent le gâteau sur l’alimentaire et un leader qui ne dépasse pas les 25% de part de marché. “C’est compliqué, dans ces conditions, d’être aussi attractif qu’un Walmart”, reconnaît Erwan Lohezic.
Quelques pistes de réflexion néanmoins. Si l’on se réfère à la part de leur chiffre d’affaires qui provient du digital, on pourrait penser que la transformation de la plupart des retailers français est réussie. La réalité est plus nuancée. D’abord parce que c’est le drive qui est responsable d’une bonne partie de cette croissance. “Le drive, ce n’est pas vraiment de l’e-commerce, c’est plutôt une contractualisation en ligne de la vente traditionnelle”, estime Lawrence Taylor. Et d’ajouter : “Les retailers français doivent réfléchir comme de vrais acteurs de l’e-commerce plutôt que de se contenter de développer une offre e-commerce au-dessus de l’existant”, préconise Lawrence Taylor. C’est ce qu’a fait Walmart en développant une offre de “curbside delivery” qui contribue à une bonne partie de sa croissance.
La gestion par les retailers français de leur marketplace, “pas toujours bien ficelée”, à en croire Lawrence Taylor, est un autre axe de progression. Les produits proposés par les vendeurs tiers sont le plus souvent noyés au sein de l’inventaire “en propre” des retailers. “C’est problématique car les retailers n’ont aucune maîtrise sur leurs prix et les délais de livraison”, explique Lawrence Taylor. C’est pour l’utilisateur lambda, qui n’est pas capable de faire la part des choses, souvent déceptif lorsqu’il découvre qu’un produit de son panier sera livré à part, bien plus tard. “Il faut trouver un moyen de distinguer les deux, via une rubrique dédiée, par exemple”, suggère Lawrence Taylor. Faire du revenu additionnel, c’est bien… mais si c’est au détriment de l’existant, ça l’est moins.
Un autre moyen d’y remédier, c’est de gérer soi-même la logistique des partenaires de la marketplace, comme le font Amazon ou Walmart. “La logistique, c’est la pièce maîtresse, assure Lawrence Taylor. Ca permet d'onboarder plus facilement des nouveaux sellers et de rassurer les clients.” Walmart gère la logistique de 25% des ventes de sa marketplace. Un performance notable alors que son offre de fulfillment a été lancée il y a à peine deux ans. Comment les retailers français peuvent-ils faire aussi bien ? En s’alliant peut-être. “Ce serait quasiment une décision politique pan européenne que de faire un Airbus de la logistique”, estime Lawrence Taylor. Mais si certains réussissent à le faire sur la pub, pourquoi pas sur le carrelage…