Les 5 questions que pose le dernier Observatoire de l’ePub (et nos réponses)


  • Pourquoi la croissance du marché est-elle supérieure aux attentes ? Et pourquoi le social s’en accapare-t-il la majeure partie alors le format display classique s’essouffle, à l’inverse, chez les sites média et les retailers ?

  • Réponses avec le dernier observatoire e-pub SRI, réalisé par Oliver Wyman, en partenariat avec l’Udecam.

Bon début d’année pour le marché de la publicité digitale en France, puisque ce dernier a connu une croissance de 14% entre le premier semestre 2023 et le premier semestre 2024. Les investissements ont atteint un total de 5,019 milliards d’euros pour les six premiers mois de l’année, selon le dernier observatoire e-pub SRI, réalisé par Oliver Wyman, en partenariat avec l’Udecam. 

Pourquoi la croissance est-elle supérieure aux attentes ?

Plusieurs raisons à celà. Il faut d’abord rappeler que le marché partait de plus bas que d’habitude. Le premier semestre 2023 avait été particulièrement morose, en témoigne une croissance d’à peine 5%. “Ces 14% de croissance annuelle incluent donc une partie rattrapage”, à en croire Maïte Dailleau, associée chez Oliver Wyman. 

Si l’on compare le taux de croissance des cinq dernières années, on reste dans les standards du marché. “On était à 12% de croissance annuelle”, rappelle la présidente du SRI, Corinne Mrejen.

“Entre 40 et 50% de la croissance du marché de la vidéo en ligne vient de Youtube sur ces six premiers mois”

Il y a donc un effet rattrapage… mais il y a aussi des poches de croissance que l’observatoire avait moins bien anticipées. D’abord Youtube qui, à en croire Jean-Baptiste Rouet, président de la commission digitale de l’Udecam, “s’est fortement repris au premier semestre 2024, après une année de stagnation.” 

“Entre 40 et 50% de la croissance du marché de la vidéo en ligne vient de Youtube sur ces six premiers mois”, chiffre Maïte Dailleau. La plateforme représente, selon nos calculs, plus de 75% des revenus d’une catégorie “vidéo et streaming” qui s’établit à 336 millions d’euros sur les 6 premiers mois de l’année.

L’autre surprise, c’est le succès de Prime Video Ads qui, malgré moins de trois mois d’existence, occupe déjà une place de choix dans le marché. “On n’avait pas anticipé un tel succès”, reconnaît Maïte Dailleau au sujet d’une plateforme qui, selon nos estimations, aurait déjà capté 10 millions d’euros d’investissements pubs alors même qu’elle offrait 50% du budget de la campagne aux annonceurs qui dépensaient un certain montant le premier mois.

Ce n’est pas forcément une surprise pour une plateforme qui, sur ces trois composantes clés que sont le prix, le reach et la data, est très compétitive. Et qui a, contrairement à Netflix, déjà lancé son offre en gré à gré. Ce qui lui permet de prétendre directement aux budgets investis par les acheteurs de TV linéaire. 

“Amazon réussit à récupérer des budgets historiquement dévolus à la TV linéaire” 

“C’est la première fois qu’on voit une plateforme digitale réussir à concurrencer la TV dans l’esprit des annonceurs”, observe d’ailleurs Maïte Dailleau. L’experte d’Oliver Wyman est catégorique : “Amazon réussit à récupérer des budgets historiquement dévolus à la TV linéaire.” 

Pourquoi le social capte (quasiment) la moitié de cette croissance ?

Le social surperforme le reste du marché, avec un taux de croissance de 25%. Il capte, à lui seul, 44% de la croissance annuelle du marché de la publicité digitale. “Ce sont tout de même 276 millions d’euros supplémentaires qui sont captés en un seul semestre”, chiffre Corinne Mrejen. 

Comment expliquer une telle performance alors que la croissance s’était sensiblement ralentie pour Meta et cie (12% en 2023) ? Plusieurs raisons à en croire Jean-Baptiste Rouet. 

D’abord d’excellents fondamentaux. “Un fort ADN vidéo, le format star du moment, une capacité à adresser aussi bien les enjeux upper-funnel que bas de funnel et une forte dynamique auprès des annonceurs de la longue traîne”, énumère l’expert.

Meta dit merci à Temu, Shein et Aliexpress

Mais aussi un petit coup de main venu d’Asie, puisque la croissance du secteur est portée par celle des e-commerçants chinois, Temu, Shein et Aliexpress, qui sont tous très friands de social ads. 

Temu, dont on vous expliquait il y a quelques semaines comment il est devenu l’un des plus gros annonceurs du Web français, a dépensé 2 milliards de dollars à lui seul chez Meta en 2023. “Les versions françaises de Facebook et Instagram profitent, elles aussi, de cet afflux d’investissements”, assure Maïte Dailleau. 

Meta n’est pas le seul acteur concerné par ce dynamisme puisque TikTok, qui connaît depuis plusieurs années un taux de croissance annuelle compris entre 30 et 50%, commence à peser lourd dans les budgets médias. 

“TikTok a creusé un trou avec Snap"

La plateforme devrait dépasser les 100 millions d’euros de revenus publicitaires en France cette année, selon des recoupements que nous avons effectués auprès de certaines agences médias. “TikTok a creusé un trou avec Snap dans le classement des plateformes sociales, précise Jean-Baptiste Rouet. Avant d’ajouter qu’il y a quatre mastodontes dans ce secteur : “Facebook, Instagram, TikTok et Snap et le reste qui se bat pour des miettes.”

Le social peut-il peser autant le search d’ici 2027 ?

Si le search reste, à date, le premier levier du marché pub, sa part de marché fond (36% des investissements) du fait d'une croissance ralentie. Elle est de 8% sur un an et rien ne dit que le social (28% de ces investissements) ne peut pas le rattraper s’il maintient son rythme de croissance.

“C’est tout à fait possible”, estime Maïte Dailleau, tout en précisant que c’est un avis strictement personnel. Si les deux catégories conservaient la dynamique du premier semestre, cela se ferait à horizon 2026 - 2027. “Le social se vend encore cher, ne se commoditise pas alors que le search est, à l’inverse, challengé par la démocratisation de l’IA générative”, poursuit Maïte Dailleau. 

C’est en fait le search “made in Google” qui est challengé. Il y aura bien sûr toujours besoin d’adresser les intentionnistes qui sont en phase de recherche. Simplement, il faudra peut-être aller les chercher ailleurs que sur Google. 

D’abord parce qu’on ne sait pas encore bien quelles opportunités s’offriront aux marques lorsque Google basculera totalement dans un modèle “Search generative experience”. Et puis aussi parce qu’on observe une verticalisation du search. Le moteur de recherche de Google n’est plus forcément le passage obligé. Ils sont de plus en plus nombreux à effectuer leurs recherches sur Amazon, Booking ou Pinterest pour ne citer qu’eux.

Bien malin celui qui est capable de dire de quoi seront fait les budgets SEA des annonceurs, d’ici quelques années. Ils pourraient d’ailleurs être captés par… TikTok et consorts puisque, comme le rappelle Maïte Dailleau, “les jeunes ont tendance à entamer leurs recherches directement depuis ces plateformes.” Et que certains, comme TikTok qui a lancé une offre de SEA aux Etats-Unis, comptent bien monétiser cette tendance. A défaut de dépasser le search, le social pourrait donc en réalité l’absorber… 

Le display retail plafonne-t-il pour la première fois ?

C’est une petite surprise. Si le retail media est, après le social, le deuxième levier de croissance du marché de la publicité digitale (18% de la croissance), cette croissance vient surtout du search retail (le fameux sponsored product). Ce dernier est à +25% sur un an alors que le display on-site, lui, plafonne. Sa croissance est d’à peine 1% sur un an, contre 11% au premier semestre 2023. 

“Les retailers interrogés nous ont confié qu’une partie de leurs investissements se déportait du display on-site vers le search”, révèle Maïte Dailleau. Même Amazon est concerné par ce phénomène de transvasement, assure l’experte.

C’est sans doute l’analyse qui fera le plus débat. Il y a ceux qui, comme ces quatre retailers que Minted a pu interroger, sont surpris par ce chiffre alors qu’ils font état d’une croissance comprise entre 5 et 20% pour ce format.

Et il y a ceux qui, comme ces deux autres, rappellent que leurs taux de remplissage avoisinait déjà les 100% l’année dernière et qu’ils n’ont pas ajouté de nouveaux formats. Le secteur a, il est vrai, peu innové à l’exception notable du format de publicité vidéo shoppable déployé par Kamino chez ses clients

“Le display à outrance peut dégrader certains KPI eCommerce très sensibles”

“Le display à outrance peut dégrader certains KPI eCommerce très sensibles”, rappelle un retailer pour expliquer cette relative prudence. C’est un autre débat. Tout comme l’épineuse question de la croissance du retail media. 

Certains pensent qu’il y a encore des choses à faire en display on-site, notamment sur de l’upper funnel (awareness et considération) avec des formats qui se rapprochent de l’OPS et qui permettraient aux retailers de booster l’engagement de leurs audiences, sur le modèle de ce que propose un Chefclub (un mix pub et contenu). D’autres préfèrent s’inspirer d’Amazon et de sa croissance prodigieuse via le sponsored product.

Et il y a ceux qui défendent (parfois contre vents et marées) les vertus de l’extension d’audience. Ce dernier volet, qui concerne l’utilisation de la donnée retail au sein de sites médias classiques (une activité en plein essor), n’est pas intégré au calcul de l’Observatoire puisqu’il participe à la croissance du display streaming et TV (avec lesquels les retailers ont noué la plupart de leurs accords d’extension d’audience).

Il permettrait aux retailers de surfer sur l’essor de certains formats (la pub vidéo), environnements (CTV) et acteurs (les plateformes d’AVOD).

Les sites d’infos doivent-ils s'inquiéter pour le second semestre ?

Oui, les bonnes performances de ce premier semestre ont incité Oliver Wyman à revoir ses estimations pour 2024 (la prévision de croissance passe de 8 à 10% pour l’année). 

Mais cette révision ne doit pas faire oublier que le second semestre sera mécaniquement moins bon. “Cette période devrait représenter 51% des investissements de l’année. Un ratio qui est dans la fourchette basse de ce que l’on a vu ces dernières années”, rappelle Maïte Dailleau.

“On devrait être à +7% sur le second semestre 2024”, ajoute Corinne Mrejen. Cela ne devrait pas poser trop de problèmes aux têtes de gondole de notre secteur : les grandes plateformes sociales, Youtube et le retail media. 

Cela est peut-être plus inquiétant pour ceux qui sont laissés à la marge. “Les sites d’édition et d’information peuvent légitimement s’inquiéter”, prévient Jean-Baptiste Rouet. 

Ce serait bien dommage car ces derniers, qui sont dans le rouge depuis deux ans, semblaient aller un tout petit peu mieux. Leur décroissance n’est “que” de 2% entre les premiers semestres 2023 et 2024, contre 7% un an plus tôt. 

 “On observe un début du rééquilibrage du côté du top 200 des annonceurs”

Preuve que l’hémorragie est stoppée ? “On pressent un début du rééquilibrage du côté du top 200 des annonceurs”, commente Corinne Mrejen, en rappelant qu’il n’y a pas d’épiphénomène. 

C’est, dans le plan d’action du secteur pour renouer avec la croissance, la première pierre : mieux comprendre le fléchage des investissements. “Nous aimerions, via le SRI, identifier des tendances par typologie d’annonceurs”, explique Corinne Mrejen. En clair, voir comment le top 200 historique, les nouveaux arrivants comme Temu et Shein ainsi que la longue traîne ventilent leurs investissements. 

Un bon moyen pour Corinne Mrejen d’isoler “ceux sur lesquels on peut avoir de l’impact et ceux sur lesquels on ne peut rien faire.” La dirigeante martèle l’importance de faire de la pédagogie sur l’utilité de la publicité (contributive et transformative) et d’inscrire le choix des médias dans la politique RSE des annonceurs. “C’est à ce prix qu’on pourra se mobiliser tous ensemble, pour réunir les conditions d’une croissance plus vertueuse et harmonieuse.”

Le combat pour la longue traîne, qui fait le succès de Google et Facebook mais snobe l’Open Web autant pour des raisons de coût que de simplicité d’accès aux inventaires, viendra dans un second temps, assure la dirigeante. “Nous n’avons pas d’autre choix que de prioriser les chantiers.”