7 April 2025
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En avril 2024, The Atlantic annonçait avoir passé deux caps majeurs : celui de la rentabilité et celui du million d’abonnements (56% en numérique et 44% combinés print/digital). Une “recovery” impressionnante pour un titre qui affichait plus de 20 millions de dollars de pertes en 2020 et 10 millions en 2021 ! Fondé en 1857, le magazine, connu pour ses récits longs et ses interviews de personnalités phares de l’actualité, avait en effet subi de plein fouet les effets de la digitalisation et de la baisse des revenus publicitaires de la presse.
C’est sous l’impulsion de son actuel PDG Nicholas Thompson, arrivé en février 2021 en provenance du magazine Wired, que The Atlantic a opéré sa transition, avec un but bien précis: générer des revenus plus prévisibles et durables que ceux issus de la publicité. Pour atteindre cet objectif, le média désormais essentiellement numérique (même s’il conserve un print mensuel) a entrepris une refonte complète de son modèle économique, afin de le recentrer sur les abonnements.
Dès septembre 2019, The Atlantic avait introduit un paywall sur son site web, mais de façon prudente, de peur de casser la dynamique d’un site en croissance. Au fil des années, ce paywall est devenu de plus en plus restrictif, tandis que les tarifs ont augmenté progressivement. “Une grande partie de la stratégie de Thompson a consisté à déterminer le montant maximal que les lecteurs seraient prêts à payer pour un abonnement. Il a fini par augmenter les tarifs d’abonnement de plus de 50% et a rendu l’accès aux articles plus difficile pour les non-abonnés”, résumait le Wall Street Journal l’an dernier dans une enquête fouillée qui détaille comment “en trois ans, The Atlantic est passé de la quasi-faillite à la rentabilité”.
Ainsi, l’abonnement numérique annuel, qui coûtait 50 dollars en 2021, commence désormais à 80 dollars, tandis qu’un abonnement combiné print/digital sans publicités sur le site web coûte 120 dollars par an. Cette hausse de tarif symbolise bien la nouvelle approche du titre, qui privilégie désormais la valeur sur le volume: “nous sommes moins intéressés par l’obtention d’un million d’abonnements que par l’atteinte de 50 millions de dollars de revenus [provenant des lecteurs]“, assurait Nicholas Thompson peu après son arrivée, en expliquant qu’il n’y avait aucun intérêt à gonfler artificiellement le nombre d’abonnés via des offres à un dollars.
Cette stratégie a porté ses fruits, puisqu’environ deux tiers des revenus de The Atlantic proviennent désormais des abonnements, contre moins de la moitié à l’arrivée du nouveau PDG en 2021. Ainsi, sur les quelque 100 millions de dollars de revenus générés en 2023 (en hausse de 10% par rapport à 2022), environ 66 millions provenaient des abonnements. Un exploit, en particulier dans un marché sur lequel le New York Times règne en maître.
En parallèle, The Atlantic, propriété de la milliardaire Laurene Powell Jobs (la veuve de Steve Jobs), a pu aussi s’appuyer sur un partenariat efficace avec Apple: environ 100.000 utilisateurs supplémentaires lisent désormais le magazine via la plateforme Apple News+. Et contre toute attente, Nicholas Thompson a indiqué que “The Atlantic reçoit à peu près le même montant pour chaque utilisateur qu’Apple compte comme un abonné de The Atlantic que ce qu’il reçoit par abonné direct“.
Mais toute cette stratégie autour de l’abonnement n’aurait pas pu fonctionner sans des investissements concomitants dans les contenus – notamment avec le recrutement de signatures reconnues et le lancement d’une dizaine de newsletters pour ses abonnés – et une refonte globale de la stratégie éditoriale. Moins soumis aux diktats de la course aux pages vues, ce modèle a permis aux journalistes de se concentrer sur des enquêtes et reportages plus poussés.
Ainsi, comme le relève le Wall Street Journal, “plutôt que de couvrir l’actualité quotidienne, la rédaction se concentre sur un nombre plus restreint d’articles de fond, minutieusement documentés, susceptibles d’intéresser les lecteurs de tout le pays et de toutes sensibilités politiques.” Résultat des courses: trois prix Pulitzer en trois ans. Mais aussi de nombreux succès viraux: depuis le début de l’année, trois des dix contenus les plus partagés sur X et Facebook proviennent de The Atlantic, selon les données de NewsWhip citées par Axios.
Le tableau ne serait pas complet sans évoquer un autre ingrédient clé dans ce retour à la rentabilité: la discipline budgétaire et la rationalisation des investissements. “Nous ne sommes pas parvenus à la rentabilité en dépensant trop et en faisant un tas de paris susceptibles de ne pas porter leurs fruits. Nous y sommes parvenus en investissant dans des domaines où nous avions une probabilité assez élevée d’obtenir de bons rendements”, expliquait Nicholas Thompson en mai dernier.
Cette discipline s’est également appliquée à la stratégie publicitaire du titre: comme l’explique Axios, The Atlantic a “changé sa façon de vendre en se réorganisant pour essayer d’augmenter les profits“. Concrètement, cela a conduit la régie à se concentrer davantage sur la signature de contrats publicitaires à plus forte marge, même si cela impliquait une baisse temporaire du chiffre d’affaires brut publicitaire.
Le WSJ détaille ce changement d’approche publicitaire: “la répartition des revenus publicitaires de la publication – qui représentent le tiers de son chiffre d’affaires total – a également connu une transformation radicale ces dernières années. Une part croissante provient désormais de partenariats directs avec les marques et d’une activité événementielle en plein essor, plutôt que de la publicité programmatique.” Un pari semble-t-il gagnant, puisque l’activité publicitaire de 2023 s’est avérée plus rentable que celle de l’année précédente, malgré des revenus bruts inférieurs.
Mais malgré ces bons résultats, tant financiers qu’éditoriaux, tout n’est pas gagné pour autant pour The Atlantic. De l’aveu même de son PDG, le titre doit encore persévérer dans la diversification de ses sources de revenus, convaincre un lectorat plus jeune et intégrer à bon escient l’intelligence artificielle. Entre autres.
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